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Photo du rédacteurEquipe Institut Talleyrand

L’Europe de la défense à travers l’Initiative Européenne d’Intervention (IEI)

Dernière mise à jour : 28 mars 2023

Entre le 12 et le 14 octobre 1808, lors de l’Entrevue d’Erfurt, Napoléon avance déjà qu’une guerre entre Européens est une guerre civile. Deux siècles plus tard, dans une Europe de la paix largement mieux établie et structurée, la question de la paix apparait comme une préoccupation mineure. Ainsi, l’Europe et l’Union Européenne se sont construites petit à petit, basées sur les volets économique, financier et social… La grande question absente, mais pourtant essentielle, des discussions sera longtemps celle de la sécurité et de la défense du continent européen. Il faudra attendre les années 1990-2000 pour que les questions de défense et de sécurité commune émergent, avec la création la Politique Etrangère de Sécurité Commune (PESC) et la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) en 1999. La PSDC ne prendra elle-même réellement effet qu’en 2003 avec des actions extérieures concrètes dans le cadre de missions de police dans les Balkans. Le projet d’Europe de la défense reste aujourd’hui un échec relatif. C’est un échec collectif des états européens et membres de l’Union Européenne qui n’ont pas réussi à se mettre en accord sur les questions de stratégie militaire et de sécurité et défense commune, même avec la création en 2001 d’un état-major de l’Union Européenne (EMUE). Pour ne pas rester sur un échec et au vu de combien la question de défense européenne devient primordiale, certains états européens ont décidé de prendre le problème à bras-le-corps. Par une impulsion française, plusieurs états d’Europe ont décidé de rapidement créer « l’Initiative Européenne d’Intervention (IEI) », cette initiative indépendante marque un tournant majeur dans le projet d’une Europe de la défense. Ainsi au vu des enjeux primordiaux que représente l’ambitieux projet de l’Europe de la défense, la question sera de savoir si cette initiative pourrait être l’espoir qui fera enfin sortir de terre une véritable Europe de la défense. La question sera traitée en trois axes distincts, avec une présentation de l’IEI, incluant ses moyens et objectifs de long termes, puis une évaluation de son bilan avant une analyse des limites/critiques inhérentes à cette initiative européenne.


Contexte et genèse de la création de l’IEI


L’Initiative Européenne d’Intervention est une nouvelle brique dans le développement concret d’une Europe de la défense, qui par cette initiative, se traduit aujourd’hui par des actions de coopérations concrètes et réalisable. L’Europe de la défense était depuis la création de l’Union Européenne (UE) un sujet qui était beaucoup moins présent et qui faisait beaucoup moins l’unanimité dans le débat publique et politique. La question de la souveraineté a souvent détrôné celle de la coopération. Ce n’est qu’en décembre 1998 lors du sommet franco-britannique de Saint-Malo, que le président français Jacques Chirac mettra en avant les enjeux cruciaux de la défense européenne.

Aujourd’hui, force est de constater que les enjeux de défense et de sécurité sont devenus globaux et communs aux états européens. En effet, qu’il s’agisse de sécurité intérieur (terrorisme, trafic de drogue, radicalisation, immigrations, ...) ou d’interventions militaires extérieurs (lutte contre le terrorisme, interventions étrangères, …) les états de l’Union font face aux mêmes menaces ainsi qu’au mêmes défis. Au vu des nombreux tragiques événements de cette dernière décennie commis sur les sols européens, la protection des territoires et populations européennes est logiquement devenue une priorité absolue. Ces impératifs défensifs et sécuritaires amènent donc les dirigeants européens à réfléchir à une coopération stratégique durable et concrète. Ainsi, le 26 septembre 2017 dans son discours à la Sorbonne, le président français Emmanuel Macron, a souhaité que des états capables militairement et déterminés politiquement à tenir leur rôle sur la scène internationale, s’unissent pour assurer la défense de l’Europe et des européens. Moins d’un an après son discours, le 25 Juin 2018, la France, l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, les Pays-Bas, le Royaume-Unis et le Portugal ont fait naître l’IEI à Luxembourg. Le 7 novembre de la même année, la Finlande rejoindra l’initiative et en septembre 2019 la Suède, la Norvège et l’Italie se sont joins à ce projet pour un total de 13 pays membre aujourd’hui.

L’IEI est une réponse pragmatique à un constat très simple, afin de répondre à des menaces communes plus fortes et plus violentes, les forces armées européennes doivent se connaître, se comprendre et agir en conséquence afin de développer une culture stratégique commune et solide pour construire une réponse commune et efficace. Rapidité, coordination et efficacité, tel est la devise que l’on peut accorder aux ambitieux objectifs de l’IEI, objectifs qui se traduiront par une interopérabilité des forces armées des pays membre. L’effort de défense sera donc partagé entre les 13 pays de l’initiative avec pour objectif de permettre une plus grande efficacité et répondre au mieux aux crises et aux opérations à venir. Enfin, l’IEI vient renforcer le poids de l’UE sur la scène internationale par sa complémentarité avec la Coopération Structuré Permanente (CSP) tournée vers le domaine des capacités.



Objectifs et moyens


Face aux enjeux stratégiques de demain, les Etats européens ont besoin d’une couche de culture stratégique commune, construire cette vision stratégique commune reviens ainsi à analyser de la même façon, à avoir la même vision, sur le plan stratégique (au sens militaire du terme), des défis de sécurité et défense entre européens. Pour permettre cette vision commune, le partage des doctrines, des retours d’expériences, des manières d’opérer et de communiquer et des renseignements est essentiel. Il faut ainsi pouvoir bénéficier des expériences et des éclairages des pays membre, qui logiquement, n’ont pas la même culture stratégique militaire.

L’objectif principal de l’IEI est par conséquent d’opérer le plus vite possible et de la façon la plus efficace qu’il soit, le président Emmanuel Macron a souligné : « Pouvoir réagir ensemble et rapidement ». L’IEI est cependant une initiative indépendante, en effet, bien que l’IEI vient donner plus de poids à la coopération européenne, celle-ci s’inscrit et se développe en dehors du cadre de l’UE et de l’OTAN.

Néanmoins, bien qu’indépendante, l’IEI vient renforcer et complémenter les missions de l’UE et de l’OTAN car les objectifs à ces trois entités restent les mêmes en termes de défense : protéger, réagir et coopérer. Plus la coopération sera efficace, meilleure sera la culture stratégique et opérationnelle qui en émanera. Cette coopération entre forces armées européennes se traduit concrètement par les « Military European Strategic Talks (MEST) ». Les MEST, ou discussions stratégiques militaires européennes en français, sont des réunions rassemblant des hautes autorités militaires et haut représentant des états-majors des pays membre de l’initiative. Ces MEST ont pour ambition de favoriser l’émergence d’une culture stratégique commune et de conduire les travaux opérationnels de l’IEI en vu d’obtenir des résultats concrets afin de mieux répondre aux défis de demain et aux opérations d’aujourd’hui.

Partage du renseignement et des manières d’opérer, ces dialogues militaires sont un plus dans l’anticipation stratégique et la façon dont vont être géré les opérations et crises futures. Au vu de cette initiative, le projet d’Europe de la défense paraît se dessiner plus clairement et plus concrètement que par la « simple » adhésion à l’OTAN ou à l’UE. En effet, l’IEI se singularise par ses membres, limité en nombres certes (13 Etats européens sur 28 membres de l’UE), mais qui ont une réelle volonté de coopération stratégique militaire et qui ont les moyens matériels et humains de répondre aux attentes des pays alliées et donc la capacité de répondre rapidement et efficacement.

Les moyens humains et matériels ainsi que l’engagement opérationnel couplé à une forte volonté de partage et de coopération sont les preuves d’une puissante implication au profit d’une défense et d’une sécurité européenne qui se construit et s’améliore sur le long terme. L’IEI permet ainsi d’inclure par sa flexibilité, des pays européens très investis dans l’engagement opérationnel au profit de la sécurité du contient mais qui ne peuvent (ou ne pourront bientôt plus) agir dans le cadre de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) : le Danemark (en raison de son opt-out) et le Royaume-Uni post Brexit. Cette initiative permet de plus aux pays membre de mieux exploiter leur potentiel de défense au bénéfice de toute la zone euro-atlantique. L’IEI développe ainsi chez ces états membre une réactivité accrue et un champ d’action sans limitations géographiques ou thématiques ainsi qu’une autonomie stratégique européenne et une crédibilité militaire sur la scène internationale. Cette nouvelle culture stratégique commune doit permettre d’aller plus loin dans la coordination, pour être capables de mener des opérations d’évacuation de ressortissants, voire des opérations de haute intensité comme actuellement au Proche et Moyen-Orient ou dans la bande Sahélo-saharienne. En quelques chiffres, les 13 pays de l’IEI représentent aujourd’hui plus de 392 millions d’habitants, 206 milliards d’euros de budget et un total de 32 700 soldats actuellement déployés en opération extérieures. L’expression « l’union fait la force » prend tout son sens au vu des considérables chiffres que représente cette initiative. Il faut également mettre en exergue que la ministre française des armées, Florence Parly, veut que cette initiative ne soit pas inclusive. En d’autres termes, il faut privilégier la qualité à la quantité.



Bilan et critiques


Pour ce qui est du bilan de cette initiative, il est assez compliqué à dresser. En effet, l’IEI n’a que 2 ans et demi d’existence et comme énoncé précédemment, c’est un projet de long terme qui a était initié. Néanmoins on peut tout de même dresser un rapide tableau de tout ce qui a pu se faire en un peu plus de deux ans. En premier lieu, on peut constater que les Etats membrent de l’initiative n’ont pas failli à leurs engagements communs car plusieurs MEST se sont tenue depuis le 25 juin 2018, les ministres de la Défense et états-majors (ou leurs représentants) de chaque pays membre doivent se rencontrer au moins 2 fois par an. Des rencontres ont eu successivement lieu le 7 novembre 2018 et le 11 juin 2019 à Paris ainsi que le 20 septembre 2019 aux Pays-Bas. C’est en visio-conférence qu’a eu lieu la dernière réunion du 25 septembre 2020, réunion organisée par le Portugal. En 2021, c’est la Suède qui organisera la première réunion annuelle. On peut également mettre en avant l’aide de certains pays de l’IEI apporté rapidement aux Bahamas lors de l’ouragan Dorian entre le 9 et 11 septembre 2019. Ainsi, il est facile de constater que pour l’instant les états-majors des pays de l’initiative sont en étroite collaboration et arrivent à s’entendre sur un projet de stratégie et d’action commune. Encore une fois, ce projet d’initiative est un projet de long terme qui prendra effet aux grès des réunions entre pays membre et des opérations conjointes qui seront menées.

Depuis la guerre froide, la défense de l’Europe et de l’UE dépend énormément de l’OTAN. L’organisation de l’atlantique nord représente un avantage certain pour les pays européens, il y a une garantie américaine et nucléaire qui permet d’assurer la défense de l’Europe à moindre coup. L’IEI est alors un espoir pour l’Europe de conduire à une politique de défense européenne autonome et indépendante, l’IEI peut être perçue comme une conséquence d’une volonté des européens à vouloir assurer eux-mêmes leur défense. Ce que l’on remarque vite au sujet de l’IEI, c’est la prédominance française, elle en est d’ailleurs à l’origine. La France, fait en effet figure d’exception lorsqu’il s’agit de politique de défense européenne, Paris reste en fort décalage par rapport à ses alliés du continent sur les questions de souveraineté et sur les capacités et déploiements de ses forces armées. Disposant de la bombe nucléaire et étant très engagé sur différent théâtre d’opérations, la France sort du lot vis-à-vis de ces alliés européens. Même si la France a toujours milité pour la préservation d’une autonomie stratégique forte en matière de défense en l’inscrivant dans un cadre européen, elle a très largement revu à la baisse sa participation aux opérations militaires de l’UE, notamment parce que ces partenaires étaient « peu fiables » en termes de soutien. De plus, les missions militaires de l’UE se contentaient d’être de la formation.

L’IEI pourrait ainsi changer la donne en avançant avec des partenaires fiables et à la hauteur. Volonté de partager le fardeau ? Ou rêve que la France étende son influence en imposant sa stratégie dans une puissante alliance militaire européenne indépendante ? Prémisse d’une armée européenne ? Ce qui est certains, c’est qu’au vu de ces faits d’armes, sa culture militaire et son expérience de terrain, la France s’impose comme catalyseur de la nouvelle défense européenne. La France a en effet une culture opérationnelle très différentes de ces voisins, elle se différencie notamment en posant son regard et en agissant au Proche-Orient, en Méditerranée et en Afrique lorsque ces voisins voient Moscou comme une menace plus prédominante. La France voit peut-être l’IEI et par conséquent l’Europe de la défense, comme un « multiplicateur de puissance », une puissance par procuration qui lui permettrait d’étendre son influence à l’échelle régionale puis mondiale comme elle a souvent voulu le faire historiquement. Cette ambition n’est évidemment pas toujours appréciée par les autres membres.

Ainsi, une culture stratégique européenne pourrait émerger de cette initiative avec des acteurs puissants et volontaires qui ont le souhait de se détacher petit à petit de l’UE et de l’OTAN pour que l’Europe de la défense arrête d’être une utopie ou un sujet de colloque. Les effets d’une pareille initiative se feront bien ressentir à long terme si les pays membre arrivent à s’accorder. Par l’IEI, le chantier de la défense européenne avance pour la première fois depuis longtemps.

L’ambitieuse IEI pose ainsi les questions suivantes : l’Europe de la défense, peut-elle réellement émerger alors que la défense de l’Europe semble déjà être le terrain de jeu de l’OTAN ? Faut-il arrêter avec l’illusion d’une autonomie stratégique européenne ? Ou bien croire à une véritable coopération et à l’émergence d’une culture stratégique commune et donc à l’espoir d’une Europe de la défense solide et durable ?

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